Transformer un tabou en commun grâce au collectif (et à la philosophie critique aussi)
C’était lors d’un atelier. Un de ces moments où la parole circule, où l’on met des mots sur des intuitions diffuses. Le sujet ? L’utilisation du réseau dans la communauté pour trouver un emploi ou développer un projet. Un tabou pour certain·es, une évidence pour d’autres.
D’un côté, il y avait celles et ceux qui n’osaient pas. Peur de trahir l’esprit d’émancipation collective, peur d’imiter les élites qui verrouillent tout en circuit fermé. Peur de mélanger pro et perso et d’y perdre quelque chose d’essentiel. Peur d’être perçu·e comme quelqu’un qui use de piston plutôt que de talent. Peur du rejet, peur de dériver vers un système mafieux, peur de devenir trop matérialiste, trop centré·e sur l’argent.
Et puis, il y avait les autres. Ceux qui avaient franchi le cap et découvraient que le réseau, loin d’être un instrument de domination, pouvait être un outil d’entraide. On côtoie les gens longuement, on partage des valeurs, on sait intuitivement avec qui on a envie de travailler. Pas besoin d’être un·e commercial·e aguerri·e, les connexions se font naturellement. Après tout, cela concerne tout le monde à un moment ou un autre.
Une idée émerge. Et si ce tabou était une règle induite par le système pour protéger le système ? Une interdiction intériorisée qui empêche d’activer une ressource pourtant légitime ?
La clé, ce n’est pas d’appliquer un dogme, mais de questionner son intention, son éthique. Se demander : pourquoi je fais ça ? Comment je le fais ? Parler de ses valeurs, de ses fragilités, de ses fatigues. Accepter qu’on a parfois des missions ou des postes à proposer, et que cela ne nous rend ni malhonnêtes, ni arrivistes. Comprendre qu’il n’y a pas de mérite absolu : nous méritons toutes et tous d’accéder aux opportunités. L’employabilité fait partie de nous, mais ne nous définit pas. Il n’y a pas de honte à en parler.
Reste une mise en garde. On critique les pratiques des élites, des puissants. Mais qui sommes-nous, nous ? Nous étions tous des hommes, blancs en écrasante majorité, pour la plupart favorisés, aisés. Nous avons aussi des privilèges, et les ignorer reviendrait à reproduire les mêmes biais que ceux que nous dénonçons.
Alors la vigilance doit s’exercer : ne pas confondre l’émancipation avec la simple reproduction d’un entre-soi bienveillant.
Au fond, ce n’est pas tant le réseau qui pose problème, mais ce que l’on en fait. Et ça, c’est entre nos mains.
Ce jour-là, c’est moi qui ai animé l’atelier. Et tout ce que j’ai fait, c’est orchestrer un simple tour de parole. Juste en mettant bout à bout les mots des un·es et des autres, en 45 minutes, nous avons déconstruit un tabou et transformé une crainte en ressource commune. L’intelligence collective a opéré, sans heurt, sans lutte. Juste en parlant, en écoutant, en pensant ensemble.